Dans son dernier rapport, le Haut Conseil pour le Climat pointait entre autres, une baisse de la capacité de nos puits de carbone, et spécialement des forêts, à assurer leur fonction de capture et séquestration d’une partie du CO2 de l’atmosphère.
En cause, l’augmentation de la mortalité des arbres et la diminution de la productivité de la forêt.
Heureux hasard (ou pas), je tombe récemment sur un post Linkedin de Bruno Le Maire qui communiquait sur la disparition des tickets de caisse qui permettrait de sauver 25 millions d’arbres et 18 milliards de litres d’eau… bonne nouvelle donc pour les forêts et notre approvisionnement en eau !
Une information et des chiffres largement relayés par la presse et les médias qui s’empressent de se féliciter des futurs bienfaits de cette action.
Après tout, les forêts font partie du secteur de l’UTCATF (l’Utilisation des Terres, Changements d’Affectation des Terres et de la Forêts), un domaine essentiel pour la captation et la séquestration du carbone grâce aux puits de carbone naturels : la biomasse (forêts, haies, agroforesterie…) et les sols (sols agricoles…).
Or, la quantité de carbone stockée par le secteur UTCATF sur la période 2019-2021 est plus de deux fois inférieure à celle attendue par la Stratégie Nationale Bas-Carbone de la France pour la période 2019-2021.
La Stratégie Nationale Bas-Carbone de la France est la feuille de route permettant d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour cela, elle compte sur les forêts pour absorber une grande partie du reliquat d’émissions de CO2 incompressibles une fois tous les secteurs décarbonés.
À terme, en 2050, ce sont 80 Mt de CO2 qui devront être stockés dont plus de 80 % dans les puits naturels.
Ce que le Haut Conseil pour le Climat dit poliment est que nous ne sommes pas vraiment en trajectoire et qu’il va falloir s’occuper de nos forêts.
L’initiative du Ministre B. Le Maire de supprimer les tickets de caisse semble donc s’inscrire résolument dans une prise de conscience de l’urgence de la situation des forêts et, cerise sur le gâteau en cette période de sécheresse, des futures contraintes sur la disponibilité de l’eau douce. Las…
D’après les calculs de Bruno Le Maire, un arbre permettrait de produire 500 tickets de caisse (12,5/0,025).
Partant de ce constat, avec une règle de trois appliquée au nombres d’arbres nécessaires pour imprimer le dernier livre du Ministre :
- Un ticket de caisse fait grosso modo 80 mm*50 mm soit une surface de 4 000 mm2
- Un arbre permet donc de faire selon le ministre 2 000 000 mm2 de papier (500*4000)
- Une feuille du livre de Bruno Le maire fait 140 mm*205 mm soit une surface de ~29 000 mm2
- Le livre compte 240 feuilles (480 pages) soit une surface totale de papier de ~7 000 000 mm2
- Il faudrait alors plus de 3 arbres pour faire un livre de M Le Maire ( abstraction faite de l’épaisseur des feuilles, de la couverture, etc.)….
- Les deux premières semaines après sa sortie, le livre s’était écoulé à 3 500 exemplaires… soit plus de 12 000 arbres coupés ! (Source BFM
Alors de deux choses l’une : soit il faut urgemment arrêter d’imprimer le livre de Bruno Le Maire et tous les autres ou alors il faut revoir les chiffres…
Après tout, cette petite vérification des ordres de grandeur ne prend que quelques minutes.
En réalité un arbre mature pourrait générer ~8 000 feuilles A4, soit environ 16 000 feuilles format livre. Un arbre correspondrait donc à 60 à 70 livres de 500 pages… et environ 120 000 tickets de caisse (8000x210x297/4000, sans compter les grammages). Finalement c’est de l’ordre de 100 000 arbres qui sont sauvés en n’imprimant pas 12 à 13 milliards de tickets de caisse, ce qui est un début… à rapprocher des 11,5 milliards d’arbres des forêts métropolitaines et des commentaires du Haut conseil pour le climat “Une action pérenne de grande ampleur sera nécessaire pour régénérer la forêt, vu l’ampleur des dommages”.
En 2022, plus 65 000 ha de forêts ont brûlé en France, soit l’équivalent de plus de 40 millions d’arbres ! (sur la base de 11,5 milliards d’arbres et 17 millions ha de forêts en France selon l’IGN)
Quant à l’eau, c’est de l’ordre de 2 milliards de litres de prélévements en moins par an (500 L/kg de papier et 5 g la feuille A4) – rappelons que les prélèvements annuels d’eau douce en France sont de plus de 30 000 milliards de litres. Mais il s’agit là d’eau dont une grande partie est retournée au milieu naturel après épuration (~97%). La consommation d’eau – eau non retournée au milieu de prélèvement – évitée est donc de l’ordre de 65 millions de litres par an (16 L d’eau consommée par kg de papier fabriqué selon les techniques de l’ingénieur).
Toute économie de consommation d’eau douce est certe bonne à prendre,mais il convient de relativiser : la consommation annuelle d’eau douce en France est de 4 000 milliards de litres, dont 1 000 milliards qui partent dans les fuites du réseau d’eau potable chaque année.
Bref, on peut raisonnablement dire que l’argument des arbres épargnés et de l’eau économisée ne sont pas forcément les plus percutants pour mettre en avant le côté protection de la planète de l’abandon du ticket de caisse. En étant de mauvaise foi 🙂, cette mesure ressemble à un “oui mais je fais pipi sous la douche” de la part du gouvernement…
D’autant que concernant le ticket dématérialisé :
« On n’a aucune idée de l’impact réel » de la dématérialisation des tickets de caisse sur l’environnement, résume le responsable de Green IT. La dématérialisation est de toute façon un sujet « tarte à la crème », lance-t-il : « Tout le monde dit que c’est bénéfique sans jamais réaliser d’étude sur le sujet. » (https://www.tf1info.fr/environnement-ecologie/environnement-le-ticket-de-caisse-dematerialise-une-mesure-pas-si-ecolo-2257218.html)
Tout ça sans parler des conséquences de la dématérialisation sur la dissémination des données personnelles, l’incitation par la loi à donner son email au commerçant ou encore à augmenter l’exposition du consommateur à des offres promotionnelles ciblées, etc.
Reste à savoir si cette méconnaissance des ordres de grandeur et donc l’incapacité à replacer ses actions dans un cadre global se décline dans d’autres domaines…
PS : pour ceux qui penseraient que B Le Maire parlait de l’impact mondial des tickets de caisse, on estime à 300 milliards le nombre de tickets de caisse émis annuellement dans le monde. Les supprimer reviendrait donc à épargner de l’ordre de 2,5 millions d’arbres (10 fois moins que les chiffres du ministre), à économiser plus de 1,5 milliard de litres d’eau consommée (10 fois moins que le ministre) ou à éviter de prélever plus de 45 milliards de litres d’eau (2,5 fois plus que le ministre).
PS2 : dernier avatar du gouvernement, la page de présentation de la mise en œuvre de la mesure de suppression des tickets de caisse estime qu’un ticket de caisse pèse 12 g ! 2,5 fois la masse d’une feuille de papier standard A4 (~5g), sans doute l’expression du poids grandissant de l’inflation dans la facture de consommation des français. Ce qui nous met le livre du ministre à près de 25 kg par exemplaire ! En réalité, la masse des 12,5 milliards de tickets de caisse est certainement plus proche des 4 000 tonnes que des 150 000 tonnes de papier affichées sur le site.