Pour assurer la transition écologique, sciences et techniques sont des disciplines de premier ordre.
Or de nombreux signaux sont au rouge : nombre d’ingénieurs insuffisant, baisse sévère du niveau en maths des élèves Français, manque d’enseignants, de chercheurs…
Dans ce contexte tendu, il est difficile de comprendre le retrait des maths du tronc commun lors de la réforme du bac de 2019… qui n’a justement fait qu’aggraver une situation déjà fragile.
Leur retour en 2023 semble bien insuffisant pour rectifier le tir.
Le réchauffement climatique et ses conséquences nous placent devant des enjeux hors normes. Ce problème systémique concerne quasiment tous les secteurs qui doivent opérer une mue pour satisfaire aux objectifs de maintien du réchauffement sous les 1,5 ou 2º d’ici 2100.
Les changements à mettre en œuvre sont attendus à différents niveaux : individuel, citoyen, collectif ou politique. Les personnes de formations techniques et scientifiques seront pour cela particulièrement sollicitées.
En parallèle, les représentants d’institutions publiques ou privées (CNRS, MEDEF, Société Mathématique de France, écoles d’ingénieurs, universités, enseignants, etc.) tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme. Il manque des ingénieurs, des scientifiques, des enseignants et le niveau général des élèves en mathématiques est de plus en plus préoccupant.
Déjà aujourd’hui en France environ 13 % des emplois salariés ont une activité principale en lien avec les mathématiques et contribuent pour 18 % au Produit Intérieur Brut (PIB) hexagonal.
De plus, si les maths sont l’outil indispensable des corps de métiers techniques et scientifiques, c’est aussi une discipline incontournable pour tout un chacun. Un niveau minimum est requis pour acquérir la logique, débusquer des erreurs de raisonnements, des fake news, etc.
Alors oui, le gouvernement rectifie le tir avec la réintroduction de la discipline obligatoire en 2023. Pourtant il est difficile de se convaincre que ce sera suffisant pour faire face aux enjeux à venir.
Une réforme éducative de 2019 retire les maths du tronc commun dans un contexte déjà défavorable
Si la réforme du lycée général de 2019 a placé les mathématiques au cœur du débat, c’est hélas pour de mauvaises raisons.
Fini les séries générales S (scientifique), L (littéraire) et ES (économique et sociale) : place à un tronc de matières obligatoires, d’enseignement de spécialités et d’options. En vertu de quoi les maths ont disparu en fin de classe de seconde du tronc commun pour rejoindre les rangs des matières optionnelles.
Un enterrement de première classe qui se cache derrière l’intention, affichée depuis la première réforme de 1994, de retirer aux mathématiques leur pouvoir sélectif. Il s’agit d’en finir avec leur réputation de matière élitiste et une hiérarchisation des filières où les scientifiques tiendraient le haut du pavé.
Trois résultats majeurs qui résultent de la dernière réforme de 2019 sont à relever :
- une baisse drastique (de 90 % à 59 %) de la part d’élèves de terminale qui étudie les mathématiques
- un élève sur trois qui arrête la discipline en fin de classe de seconde générale
- une proportion de filles dans l’enseignement de spécialité mathématiques en terminale qui est descendue au-dessous du niveau de 1994, effaçant en 2 petites années 25 ans d’effort pour mieux les intégrer dans les cursus scientifiques.
Il faut signaler que cette réforme s’appuyait sur des fondations déjà fragiles… Un mauvais niveau des élèves français en maths est régulièrement mesuré par les évaluations internationales TIMMS et PISA. Elles confirment au niveau international les tendances que les études nationales du ministère de l’éducation nationale avaient déjà identifiées : la baisse continue depuis 30 ans du niveau des élèves en mathématiques en fin de 1er cycle.
Aujourd’hui, plus de la moitié des élèves de CM2 ont un niveau en calcul qui les placerait parmi les 10 % d’élèves de CM2 les plus faibles en 1987.
Le TIMSS (Trends in Mathematics and Science Study) est une étude mesurant le niveau des connaissances scolaires des élèves de CM1 et de 4e en mathématiques et en sciences.
La dernière de 2019 (la prochaine sera en 2023), classait les élèves français parmi les derniers de l’Union européenne et des pays de l’OCDE.
De plus, les 4e d’aujourd’hui auraient le niveau qu’avaient les 5e de 1995.
Plus de 95 % des élèves de terminales scientifiques atteignaient un niveau intermédiaire en mathématiques en 1995, ils sont moins de 45 % aujourd’hui. La dynamique est la même pour les meilleurs : ils étaient 15 % à atteindre un niveau avancé en 1995 contre 1 % en 2015.
Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation avec pour objectif de tester les compétences d’élèves de 15 ans en sciences, lecture et mathématiques.
Le dernier test en date (2019, le prochain sortira en 2023) avait mis en évidence que la France présentait les inégalités parmi les plus importantes entre élèves venant d’un milieu favorisé et ceux de milieux défavorisés.
Côté monde de l’entreprise, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, a aussi tiré la sonnette d’alarme sur l’affaiblissement du niveau en mathématiques des élèves. Il pointe aussi un manque notable d’ingénieurs bien qu’on en forme aujourd’hui quatre fois plus qu’en 1980. Le monde étant devenu de plus en plus complexe et technologique, il n’est pas forcément étonnant que les besoins augmentent.
Ce constat est partagé par Pierre Verzat, président de Syntec-Ingénierie, l’organisation professionnelle de l’ingénierie : « Chaque année, on compte un peu plus de 40 000 nouveaux ingénieurs diplômés. Néanmoins, cela est loin d’être suffisant pour répondre aux besoins de transformation de notre économie et de notre société. L’économie française a besoin de 50 000 à 60 000 nouveaux ingénieurs diplômés par an. »
Aujourd’hui en France environ 13 % des emplois salariés ont une activité principale en lien avec les mathématiques : ils contribuent pour 18 % au Produit Intérieur Brut (PIB) français, contre respectivement, 12 % et 16 % en 2012.
Et ce n’est pas près de fléchir si on en croit le plan France 2030, censé répondre aux problèmes de transition écologique dans des domaines tels que l’énergie, l’automobile, l’aéronautique ou l’espace.
Le constat est sans appel : 9 objectifs sur 10 objectifs sont essentiellement techniques. Parmi eux citons « devenir le leader de l’hydrogène vert, décarboner l’industrie ou produire le premier avion bas carbone »… autant de chantiers qui demandent des ingénieurs, scientifiques, techniciens ou ouvriers spécialisés.
L’APMEP (Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public) s’interroge aussi dans une lettre aux élus parlementaires sur l’enseignement des mathématiques en France : « Comment pouvons-nous atteindre ces objectifs si la politique éducative va à l’encontre de ces enjeux ? ».
Un rétropédalage en 2023 avec le retour des mathématiques au lycée dans le tronc commun semble encore insuffisant
Emmanuel Macron a finalement changé son fusil d’épaule. À la rentrée 2022, les maths sont revenues en option non obligatoire en classe de première. C’est une année transitoire avant leur retour dans le tronc commun dès 2023 où leur enseignement redeviendrait obligatoire en première.
Toutefois, la Société Mathématique de France est pessimiste sur les effets de la réforme du lycée sur l’enseignement à l’école primaire : « Les métiers de l’enseignement, très fortement féminisés, en particulier dans le premier degré, risquent de subir de plein fouet le défaut de formation dû à l’abandon massif des mathématiques par les filles en 1re. »
L’hémorragie ne s’arrête pas là avec une discipline qui peine à recruter des professeurs : déficitaire depuis des années, c’est pire en 2022 avec 816 candidats admissibles (2 fois moins qu’en 2021) sur 1035 postes de professeurs de mathématiques ouverts.
Le compte n’est définitivement pas bon
Il est urgent de redresser la barre… et pas seulement pour former scientifiques, professeurs ou ingénieurs. Cette dérive collective qui a mené à des niveaux anormalement bas et de fortes disparités de genres et milieux sociaux concerne tout le monde.
Les maths sont certes un outil indispensable pour ceux qui vont s’orienter vers les sciences et techniques et affronter les enjeux stratégiques de notre époque. Pour autant, elles sont utiles à tous et un niveau minimal est indispensable pour acquérir assez de logique et de rationalité afin de débusquer les manipulations par les chiffres, les informations erronées, les généralisations abusives et les erreurs de cohérence et de raisonnement.
Parmi les causes probables, les « élites » en charge des politiques sont quasiment exclusivement de formation littéraire. Et cerise sur le théorème, il est même parfois de bon ton de se revendiquer cancre en mathématiques et d’afficher une incapacité à faire des calculs élémentaires comme calculer une superficie.
Comment établir des stratégies politiques fiables et robustes dans un contexte de plus en plus complexe et technologique sans connaissances mathématiques de base ?
Les Assises des mathématiques du CNRS se sont tenues récemment avec pour ambition d’interpeller les pouvoirs publics pour « une stratégie d’envergure nationale pour réhabiliter les mathématiques dans le système éducatif et académique ainsi que dans la société d’une manière générale ».
Disposer du minimum de connaissances scientifiques pourrait probablement être un droit exigé par chacun afin de comprendre les enjeux climatiques et pouvoir objectivement critiquer les stratégies (ou leur absence) adoptées par les gouvernements pour y faire face.
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